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Personnalités gabonaises

Test d'aptitude en langue vernaculaire des candidats à la présidentielle : le point de vue du linguiste

Par Regis OLLOMO ELLA, Maître-Assistant Cames en linguistique africaine descriptive et terminologies spécialisées, Laboratoire universitaire des traditions orales (Luto)- Université Omar- Bongo (UOB), Centre de recherche et d’études sur le langage et des langues (CRELL) - Université Omar-Bongo (UOB), UMR7206- Muséum national d’Histoire naturelle (Paris).

Par Regis OLLOMO ELLA, Maître-Assistant Cames en linguistique africaine descriptive et terminologies spécialisées, Laboratoire universitaire des traditions orales (Luto)- Université Omar- Bongo (UOB), Centre de recherche et d’études sur le langage et des langues (CRELL) - Université Omar-Bongo (UOB), UMR7206- Muséum national d’Histoire naturelle (Paris). © DR

Depuis le 30 août 2023, le Gabon connaît une profonde réforme de ses institutions, y compris dans le domaine culturel. La refondation institutionnelle exige en effet un ancrage du Gabon nouveau dans les valeurs culturelles séculaires qui ont toujours structuré nos sociétés traditionnelles. Cet ancrage vise à garantir la sécurité, la solidarité, l'équité et le bien-être communautaire. Il se manifeste à deux niveaux :

  • Sur le plan institutionnel, la prise en compte des valeurs traditionnelles s'est affirmée dès la prise de pouvoir par les militaires, lorsque ces derniers ont invoqué la protection des ancêtres pour mener à bien leur mission. 

    Cette volonté s'est également traduite par la présence, pour la première fois lors du Dialogue national inclusif (DNI), des gardiens des traditions aux côtés des chefs religieux.
     
  • Sur le plan social, un retour aux valeurs traditionnelles a été exprimé à travers les contributions des Gabonais lors de la préparation de ce dialogue, en vue de l'élaboration d'une nouvelle Constitution. Parmi les propositions majeures figurait l'exigence, inédite dans l'histoire du pays, que tout président de la République maîtrise au moins une langue du Gabon.

    Cette volonté populaire a été intégrée dans la nouvelle Constitution et le Code électoral. Les articles 43 de la Constitution et 170 du Code électoral précisent ainsi les conditions d'éligibilité à la présidence de la République. Parmi elles figure la capacité à parler au moins une langue nationale.

Depuis la promulgation de ces textes, l'opinion publique s'est emparée du débat. Deux grandes questions se posent :

  1. Pourquoi un président doit-il parler une langue nationale ?
  2. Comment évaluer cette compétence linguistique dans des langues à tradition orale ?

Le ministère de l'Intérieur ayant fixé la période d'évaluation du 3 au 8 mars 2025, il apparaît nécessaire d'apporter des éclaircissements techniques sur la nature des épreuves et les modalités d'évaluation qui pourraient conditionner la délivrance d'une attestation d'aptitude linguistique. Aussi vais-je m'attacher ici à répondre aux trois questions suivantes :

  1. Quels types d'épreuves peut-on concevoir pour une telle évaluation ?
  2. Comment structurer une grille d'évaluation adaptée ?
  3. Qui doit faire partie du jury chargé de cette évaluation ?

1. Pourquoi le président doit-il parler une langue du Gabon ?

La langue est bien plus qu'un simple outil de communication : elle façonne la pensée et véhicule une vision du monde propre à une communauté. Parler une langue nationale, c'est donc penser le Gabon à travers des référents culturels et cognitifs gabonais.

Pour un président, maîtriser une langue nationale n'est pas un simple atout symbolique : cela lui permet d'établir un lien plus direct avec les populations, de mieux appréhender leurs réalités socioculturelles et d'incarner une vision du pouvoir ancrée dans les traditions locales.

2. Quelles épreuves pour une telle évaluation ?

Les langues du Gabon étant essentiellement orales , l'évaluation se fera exclusivement à l'oral devant un jury. Trois types d'épreuves sont envisageables :

a) Maîtrise grammaticale

Les langues gabonaises , majoritairement bantu, reposent sur des systèmes grammaticaux spécifiques qu'il est essentiel de maîtriser :

  • Le système d'accords de classe Chaque nom appartient à une classe dont il porte le préfixe : mutu / batu ; èlé/ bilé, etc. Ces préfixes permettent d'accorder le nom aux adjectifs, verbes numéraux et autres déterminants. : batu ba bédji "deux hommes" ; bilé bilaa "trois arbres", etc. L'épreuve consisterait à accorder correctement des phrases impliquant différents types d'accords, comme : " Ces deux petits arbres sont les miens " ou " Ce beau pays est le nôtre ".
     
  • Les paradigmes de conjugaison Les verbes en langues bantu se construisent autour d'un noyau verbal associé à des marqueurs de temps (présent, passé, futur) et d'aspect (accompli, non accompli, habituel, répétitif, etc.). L'épreuve pourrait consister à traduire des phrases présentant non seulement des accords de classe différente, mais également des modalités aspecto-temporelles différentes, comme : " Hier, j'ai mangé un plat de feuilles de manioc " ou " Demain, je rencontrerai la population de Mabanda ".

b) Maîtrise du vocabulaire

Elle pourrait se décliner en deux volets :

  • Vocabulaire général, portant sur des notions fondamentales comme la famille, la solidarité ou la rigueur.
     
  • Vocabulaire spécialisé, lié aux enjeux de gouvernance (droit coutumier, économie, gestion des biens communautaires, défense du territoire, etc.).

c) Maîtrise de l'art oratoire

L'art oratoire étant central dans la culture gabonaise, l'évaluation pourrait inclure :

  • Une présentation généalogique : le candidat devra retracer son lignage paternel et/ou maternel, voire sa multifiliation clanique.
     
  • La narration d'un conte traditionnel : il s'agira d'évaluer son aisance orale, sa maîtrise des codes narratifs et sa capacité à captiver un auditoire.
     
  • Joute oratoire avec un membre du jury. Elle porterait sur un sujet en lien avec l'exercice du pouvoir, la résolution de conflit, la gestion d'une problématique socio-économique. L'épreuve permettra d'évaluer l'aptitude du candidat à structurer sa pensée et à répondre à une problématique inédite, non seulement en puisant dans son patrimoine ethnolinguistique, mais aussi en considérant des positionnements contradictoires.

3. Composition du jury

L'évaluation sera confiée à un jury composé de trois membres :

  • Un linguiste spécialiste de la langue ou du groupe linguistique concerné, idéalement locuteur natif.
  • Un représentant de la communauté linguistique du candidat, garant de l'authenticité de son expression.
  • Un anthropologue spécialiste de la culture et des traditions de cette communauté.

Pour assurer une telle évaluation, le Gabon dispose des ressources humaines qualifiées. En effet, le Département des sciences du langage de l'Université Omar- Bongo (UOB), fondé en 1994 par le professeur Jules Mba-Nkoghe, a permis la formation de nombreux linguistes spécialisés dans les langues bantu. Aujourd'hui, la majorité des langues gabonaises présente un taux de description suffisant pour réaliser une telle évaluation. En outre, le pays compte une quinzaine de linguistes spécialisés capables de mener cette évaluation avec rigueur.

En résumé, l'évaluation de la compétence linguistique des candidats à la présidence du Gabon est une démarche techniquement réalisable et culturellement pertinente. Un jury qualifié pourra examiner les candidats à travers des épreuves ciblant la grammaire, le vocabulaire et l'art oratoire.

Cette initiative s'inscrit dans une volonté de réappropriation des valeurs culturelles nationales et constitue un pas important vers une gouvernance plus enracinée dans les réalités gabonaises.

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