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Personnalités gabonaises

Les militaires et la politique (I)

Gabriel Mally Hodjoua

Par Gabriel Mally Hodjoua © DR

L'abondance des débats au sujet de l’immixtion des militaires en politique depuis l'adoption de la nouvelle Constitution par référendum avec 91,64 % de "oui", le 16 novembre 2024 et l’approbation par le Parlement de Transition, le lundi 20 janvier 2025, du nouveau Code électoral, me pousse à émettre (en deux jets, Ndlr), dans cet article, mon modeste point de vue.

Il convient pour moi ici, de répondre clairement et logiquement à la question, pour ou contre l’immixtion des militaires en politique ? Commençons par définir le militaire et son rôle.

Le militaire est une personne qui fait partie de l’armée. Si nous prenons les catégorielles appellations basiques de l’Armée de terre, cette personne peut être un soldat, un sous-officier, un officier ou un officier général. Le rôle d'un militaire est d’assurer les missions de l’armée, qui sont principalement la défense du pays et la protection des personnes et des biens. Ce métier des armes a enfermé au fil des siècles, le militaire dans une tumultueuse catégorisation sociale qui oppose principalement deux approches, une exclusive et l’autre inclusive.

Approche exclusive :

Au Moyen-âge et durant le Consulat et l’Empire de Napoléon Bonaparte, le paradigme en vogue consistait à l’enfermement du militaire uniquement dans sa mission sécuritaire. Ainsi, fantassins, archers, chevaliers et hussards, n’assuraient que leur métier des armes, sans autres ouvertures professionnelles et vivaient confinés dans les casernes.

Une vie dépouillée de plusieurs droits et libertés reconnus aux autres citoyens, c’est-à-dire une vie " cantonnée juridiquement ". Ce cantonnement juridique privait le militaire, notamment de la liberté d’aller et venir, de la liberté d’expression, de la liberté syndicale, de la liberté d’association, de la liberté de mariage, du droit de vote, du droit d’éligibilité, du régime des heures supplémentaires, de la liberté de résidence, de la liberté d’exercer une activité privée lucrative, etc., pourtant reconnus aux autres citoyens.

Ces restrictions reléguaient le militaire au rang de citoyen de seconde zone, ou de citoyen exceptionnel, c'est-à-dire qu'il n'était ni citoyen normal, ni travailleur comme les autres. Sous-estimées, voire méprisées, les appellations dénigrantes du genre " tirailleur ", " soldat indigène ", " poilu ", " barbouze ", le caricaturaient comme un sauvage ou un brigand.

Cette déconsidération poussait même certains à penser que " les Africains ont un système nerveux moins développé, donc moins sensibles à la douleur " et donnait droit, lors des recrutements des tirailleurs, à des scènes où " des indigènes à la carrure d’athlète étaient ramassés et attachés par une corde autour des reins ", où à des rafles à la sortie des églises, de connivence avec les prêtres. " Je ne suis plus qu'un squelette méprisable, où la figure disparaît sous une couche de poussière, mêlée à la barbe déjà longue… " témoignait un soldat en 1916. " Je garde un souvenir amer, estimant être un revenant, un soldat inutile, qui n'a servi à rien ", affirmait Charles de Gaulle, au sortir de deux ans et demi de captivité en Allemagne.

Au fil des années, le développement exponentiel des moyens de communication, l’apparition des normes modernes des ar mé es de mét iers, l a généralisation des armes de plus en plus sophistiquées, l’adoption de la charte des Nations Unies, la codification du Droit de la Guerre, ont considérablement boosté les débats sur le statut des militaires et généré l’inclusivité.

Approche inclusive :

L’approche inclusive de la condition militaire a ainsi provoqué une controverse conceptuelle et épistémologique, qualifiée de " révolution militaire " ou de " révolution dans les affaires militaires " par les Anglo-Saxons, et de " révolution technicomilitaire " par les théoriciens soviétiques. Elle a hissé dans plusieurs pays du monde, l’armée à la pointe des innovations, pour devenir l’une des institutions les plus modernes, si non la plus moderne. Des liens forts ont alors été établis entre les innovations, les transformations militaires et la naissance des États modernes.

Il est clair que les armes nucléaires, les satellites d’observation spatiale, l’aviation et la marine militaires, la médecine militaire, le génie militaire, la magistrature… sont des exemples de réussite de cette révolution, qui a impulsé, comme l’a affirmé l’économiste Jacques Sapir, " à la fois une dynamique et une dialectique, mettant au jour, les liens entre celui-ci et les autres domaines de l’activité humaine, notamment social, économique et politique ".

Pour le bien des nations, plusieurs experts affirment que les énormes possibilités d'emploi des militaires ne doivent plus être cantonnées uniquement dans les casernes en temps de paix. Ça serait un énorme gâchis, car les militaires modernes peuvent utilement apporter leurs contributions dans toutes les sphères de l’État, à l'exemple de Descartes, de Lamartine, de Sun Tzu, de La Rochefoucauld, d'André Malraux, de Stendhal, d'Alfred de Vigny, de de Gaulle, d'Eisenhower, de Churchill, de Poutine…, qui sont ou qui furent militaires.

La politisation du militaire :

Dans l’approche inclusive, des opportunités, des frictions et des détonateurs divers ont inexorablement poussé le militaire vers la politique.

La dépendance de l’armée, directement du président de la République, désigné comme " Chef Suprême ", l’ouverture d’un large éventail des spécialités dans l'armée, les niveaux rehaussés de recrutement et les champs élargis des matières enseignées dans les écoles et les académies militaires, la conscription, c'est-à-dire le service militaire actif, Les opérations de maintien de la paix de l'Onu, le charisme de la relation armée-nation, ont aidé le militaire, cantonné et caserné comme simple " matériel militaire ", à prendre de la consistance, pour devenir un fonctionnaire technocrate, polyvalent, possédant une expertise avérée pour émerger avec aisance en politique.

Gandhi a aiguisé ses forces et son courage, dans la conscription, lors de la guerre des Boers en République Sud-Africaine en 1906, avant de rentrer plus tard, en Inde prêcher la " Satyagraha " (non-violence). Pour lui, " le service militaire est un piquenique annuel, qui rapporte santé, perfectionnement moral, respect et avantages politiques ".

Par ailleurs, les troubles récurrents dans certains pays et les " pannes " des régimes en place, exacerbent souvent un nationalisme ambiant qui peut engendrer des mouvements radicalisés de l’opinion, qui font alors de l’armée un point de ralliement symbolique, voire une planche politique de salut.

Dans plusieurs pays du monde, les militaires peuvent aujourd'hui se porter candidat à des élections politiques. Les pays ont modernisé les statuts de leurs armées, en introduisant, notamment le régime des positions statutaires, qui ouvrent la possibilité de le faire.

Ainsi, la position de disponibilité permet à la hiérarchie pour nécessité de service ou à la demande du militaire, de placer le militaire temporairement hors de l'armée. Il cesse par conséquent de bénéficier, durant cette période, de la solde, de l'avancement et des annuités de retraite.

La position de service détaché, quant à elle, permet à la hiérarchie, de mettre provisoirement un militaire à la disposition d'une autre structure publique, pour occuper un emploi vacant, correspondant à ses qualifications, tout en conservant sa solde, son avancement et ses annuités de retraite.

En dehors de ces voies légales, il y a le coup d’État, c’est-àdire le renversement illégal par l’armée, du chef de l’exécutif en place. Cette définition évite de confondre les coups d’État avec les mouvements populaires, les rébellions et insurrections. À ce sujet, une étude des chercheurs américains, publiée le 11 septembre 2023, ressort que depuis 1950, ont eu lieu dans le monde, 491 coups d’État, dans 97 pays, dont 245 réussis, soit une moyenne de 7 par an.

La fréquence qui était élevée en Amérique latine, avec en tête, la Bolivie (23), suivie de l’Argentine (20), l’est maintenant en Afrique depuis les 30 dernières années, avec notamment, depuis 2020 les militaires Présidents, au Mali, en Guinée, au Tchad, au Soudan, au Burkina Faso, au Niger et au Gabon.

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