L'indépendance de la justice renvoie à la notion d’indépendance des magistrats du siège, chargés d’appliquer la loi et de dire le droit ; à la différence des magistrats du parquet, défenseurs de l’ordre public, placés sous l’autorité du ministre de la Justice.
L’indépendance de la justice garantit l’égalité de tous devant la loi, condition sine qua non d’un procès équitable. Le magistrat, gardien des libertés individuelles, a donc l’impérieux devoir d’exercer son office loin de toute pression, en conscience. Il est sans conteste que l’histoire de la justice porte une forte aspiration à statuer hors de toute pesanteur psychologique ou sociologique.
Aussi, la problématique de l’indépendance de la justice est une récurrentielle qui atteignit son paroxysme avec la réforme post révolutionnaire de la justice dans l’Hexagone.
En effet, dans sa réorganisation du corps judiciaire, Napoléon Bonaparte a conçu la justice comme une institution prestigieuse, mais dans le même temps subordonnée au pouvoir politique. Par ce fait, l’indépendance de la justice fut un mythe, au sens d’une construction de l’esprit qui ne repose sur aucune réalité.
Alors, qu’en est-il maintenant ? De nos jours, tout fait accroire à un changement de paradigme. Le narratif actuel accorde une place particulière à l’indépendance de la justice : la quasi-totalité des constitutions des États contemporains proclament l’indépendance du juge.
Cette indépendance, notion régalienne qui marque l’impérium du juge, ne doit pas être perçue comme visant exclusivement les pouvoirs politiques. Elle concerne également d’autres pouvoirs, dits informels, qui, par leur emprise sur un juge, accroissent les tensions que celui-ci va affronter au quotidien. Il s’agit essentiellement des pouvoirs hiérarchiques, économiques et sociétaux.
I- Les pouvoirs politiques : ils sont les seuls visés par notre Constitution référendaire à l’article 111.
Cette disposition met en garde le législatif et l’exécutif contre toute forme d’immixtion dans le fonctionnement d u système judiciaire. La notion d’indépendance, en l’occurrence, est une réminiscence du principe de séparation des pouvoirs distributif des compétences entre les trois pouvoirs fondamentaux de l’État, à savoir l’exécutif, le législatif et le judiciaire.
Il va sans dire que la question sur la portée de cette proclamation constitutionnelle peut se poser dans l’absolu, surtout à la lumière des principes qu’elle renferme qui peinent à être appliqués.
D’ailleurs, même le Conseil supérieur de la magistrature, notamment au regard de son mode de fonctionnement actuel, ne semble pas être la panacée.
II- Les pouvoirs hiérarchiques : ils se caractérisent par une forme d’influence exercée sur le comportement d’autrui.
Cela est le plus souvent manifeste, lorsqu’un magistrat de grade supérieur s’ingère dans la gestion d’un dossier tenu par un magistrat de grade inférieur.
Cette seule démarche place, dans la plupart des cas, le magistrat concerné dans une posture de vulnérabilité consécutive à la soumission due au chef. Dès lors, le magistrat qui voudrait se prémunir contre toute forme de représailles éventuelles, se trouve contraint de satisfaire les désirs de "l’aîné". Il ne s’agit pas, ici, loin s’en faut, d’inciter à une sorte de césure générationnelle entre les membres d’un même corps de métier ; mais de mettre en exergue certains comportements toxiques qui dénaturent les relations professionnelles.
Nonobstant ces écueils, il convient de préserver des passerelles relationnelles dans le milieu professionnel de manière à laisser dégouliner l’expérience des uns sur les autres ; ce d’autant plus que l’oralité reste et demeure le mode de transmission privilégié des traditions judiciaires.
III - Les pouvoirs économiques : ils sont très redoutables, surtout lorsqu’ils placent un juge au centre de leurs intérêts.
Avoir des accointances avec le milieu d’affaires peut être pour un juge une porte ouverte à toutes sortes de passe-droits, or celui-ci doit éviter les collusions et les conflits d’intérêts. Certes, le juge n’est ni riche ni pauvre, mais seul l’État a le devoir de le mettre à l’abri de toute forme de convoitises.
IV- Les pouvoirs sociétaux : ce sont des pouvoirs tellement subtils, insidieux et imaginatifs qu’ils peuvent influer sur l’agir du juge, même à son insu.
Le juge doit donc cultiver son objectivité afin de s’affranchir de l’influence de sa culture, de ses préjugés, de ses affects ; il ne doit aucunement s’attendrir devant les sollicitations de sa famille, de ses amis, de membres de son ethnie, bref, de son milieu social ; il doit éviter de se laisser suggestionner par ses convictions religieuses, philosophiques et autres opinions politiques. En un mot, il doit toujours avoir à l’esprit que s’il est investi par la Constitution de la mission de juger autrui, il ne peut accomplir cette tâche qu’en toute indépendance.
Au regard de tout ce qui précède, il appert que l’indépendance du juge, bien qu’affirmée par la Loi fondamentale, reste relative. Et que l’ennemi du juge est avant tout le juge lui-même, car comme le souligne le professeur François LUCHAIRE : " Un juge n’est indépendant que s’il en a la volonté ; l’indépendance est une question de conscience ; les textes n’y peuvent rien. "
Toutefois, la force de cette assertion ne peut occulter la question qui tarabuste les esprits : les décideurs sont-ils prêts à lâcher le contrôle d’un pan essentiel de leur autorité ?
Une esquisse de réponse à cette interrogation se dessine au travers des propos de M. Christian VIGOUROUX, alors président adjoint au conseil d’État français, pour lequel : " L’indépendance, contrairement à ce qui est dit, n’est pas aimée. Elle est souhaitée, elle est crainte, elle est admirée, elle est incomprise mais elle n’est pas aimée. " Wait and see.
Par Honoré MOUNDOUNGA, Haut magistrat.
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