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Société & Culture

Lettre ouverte aux citoyennes gabonaises

Irma Julienne ANGUE MEDOUX. © DR

Irma Julienne ANGUE MEDOUX, enseignante de philosophie à l’Université Omar-Bongo (UOB). © DR

- Irma Julienne ANGUE MEDOUX : La journée des femmes du 8 mars transforme partout en festivité le désir de toutes les femmes de la planète de prétendre régir leur vie à égalité avec les hommes.

Mais la fête de cette année pour les Gabonaises consiste en ce que, pour la première fois au Gabon, elles sont invitées par les autorités de la Transition à participer à des élections présidentielles qui ne sont pas neutralisées d'avance par un pouvoir qui ne chercherait qu'à en faire des partisanes et pour pouvoir les réduire ensuite à des instruments d'une politique injuste. Il s'impose donc pour toutes les femmes du Gabon en âge de voter de ne pas rater cette occasion jusqu'à présent inédite.

Car il ne s'agit pas seulement pour nous de fêter cette journée comme la seule et unique journée de l'année où nous sommes honorées, mais aussi de remercier haut et fort les autorités politiques de transition : elles ont en effet cherché depuis août 2023 à améliorer et à développer une démocratisation du Gabon en respectant leur engagement à organiser des élections présidentielles libres, mais elles ont aussi tenté de respecter et de faire respecter notre égalité par rapport aux hommes.

Il revient bien sûr à nous, citoyennes gabonaises de le faire en soulignant cette progression inédite, et je vous y encourage pour ma part le plus vivement et le plus chaleureusement possible. Mais il s'agit surtout de traduire notre droit de vote et cette progression importante de citoyennes, dans le respect qui nous est dû à l'égard de nos compétences et en jugements performants à travers nos votes.

Car nos votes concerneront les avenirs possibles qui nous sont offerts à cette occasion par nos autorités, en jugeant pour la première fois par nous-mêmes des programmes de vie qui nous sont proposés.

C'est donc notre vivre ensemble qui est en question : notre vivre ensemble dans l'intégralité de toute la société gabonaise. Ce sera en effet la première fois que nous aurons l'occasion de le prendre en main nous-mêmes sans nous laisser prédéterminer dans nos choix ni par les traditions machistes qui nous renvoyaient pour l'éternité à nos fonctions de génitrices ou de cuisinières, ni par l'exploitation d'entreprises multinationales qui n'ont que faire de notre santé, de notre éducation, ni bien sûr non plus de notre bonheur individuel et collectif. Nous n'avons pas à reprendre à notre compte le rôle de direction et de domination que nos institutions réservaient jusqu'à aujourd'hui aux hommes car ils ont façonné jusqu'ici ces rôles comme des rôles de maîtrise et de domination d'autrui. Mais nous avons au contraire à faire reconnaître dans nos votes notre parité de jugement et d'initiative dans tous les secteurs de la vie publique et civile : il nous faut voter résolument pour les candidats à la présidence qui affichent leur détermination à respecter cette parité et à respecter les compétences qui nous sont reconnues ou que nous avons tenté de faire reconnaître sans obtenir encore le succès souhaité.

Il nous faut également voter pour ceux qui nous permettent d'améliorer notre accès à ces compétences et à la possibilité de les faire respecter à égalité avec les hommes. Cela implique que nous votions pour des candidats qui sengagent à former nos filles à l'exercice de cette parité en construisant et en renforçant les institutions d'enseignement appropriées. Bien sûr nous attendons d'eux qu'ils nous permettent d'œuvrer dans les entreprises comme dans toutes les institutions à parts égales avec les hommes, mais ce que nous attendons surtout du nouveau président et que nous devons donc exiger des candidats à la présidence, n'est pas d'assurer que le désir des femmes soit 

d'adopter et de jouir d'un pouvoir de domination gestionnaire à la place des hommes. Le désir que nous devons toutes relayer est un désir civique beaucoup plus profond et radical : ce pour quoi nous lutterons pour faire reconnaître l'égalité des genres par nos votes, cest au contraire de faire respecter la faculté de juger des citoyennes à l'égal de celle de citoyens. Il s'agit de la faire reconnaître à part entière en montrant qu'au sein de la démocratisation actuelle de nos institutions elle s'exerce déjà. Pourquoi ? parce qu'en votant pour la première fois de façon libre, il nous appartient de promouvoir et d'identifier les modes de vie que nous avons besoin de reconnaître et de faire adopter comme nos modes de vie désirables par les uns et les autres. Il s'agit dans nos votes d'identifier parmi les programmes des divers candidats ceux qui nous ouvrent la voie à ce changement radical d'attitude dans notre mentalité aussi bien que dans nos pratiques.

L'enjeu de la reconnaissance de cet idéal d'égalité ne peut donc être que de pouvoir identifier les modes de vie humaine qui rendent aussi heureux les partenaires des deux genres qu'ils méritent de l'être en raison de la façon dont nous pouvons y exercer notre jugement et prendre nos décisions. L'idéal que nous pouvons y poursuivre pour la première fois consiste donc à identifier et à autoriser les formes de vie humaines qui rendent les deux genres, femmes et hommes, aussi heureux de partager ces formes de vie que nous avons été heureux de les penser et de décider de les réaliser d'un commun accord.

Cet idéal exige ainsi du prochain président que nous avons à élire qu'il respecte, dans son programme même, l'autonomie des citoyennes comme celle des citoyens. Car cette autonomie nous a été nécessaire pour inventer durant cette période de transition, ces formes de vie dont nous avions besoin et pour les reconnaître comme nos formes de vie spécifiquement humaines.

Mais cela ne doit pas se limiter à cette période de transition : il faut les faire reconnaître comme des formes de vie durables car elles sont irréductibles au mode de dressage civilisationnel auquel nous avons été condamnés, hommes et femmes, jusqu'à maintenant. Le machisme patriarcal et masculin a constamment réduit jusqu'à aujourd'hui l'ordre politique et son idéal à un tel exercice civilisationnel de dressage. Nous n'en voulons plus.

La journée des femmes ne peut donc être que nous inviter à dire adieu à ce machisme et à exiger le respect de notre égalité de citoyennes de la part des candidats ou des candidates à la présidence de notre pays, et ce, dans tous les domaines, publics, privés ou civils où ils entendent démocratiser nos institutions.

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