La session criminelle spéciale de Libreville, ouverte le 10 novembre dernier pour examiner des dossiers sensibles, a connu un autre temps fort avec le jugement d'une a aire de traite d'êtres humains qui a mobilisé l'attention. Mardi dernier, la Cour a ainsi condamné un couple béninois, Viviane Degbey et Ko Jean Yeyehoué, pour des faits d'une extrême gravité : l'"achat" d'une mineure au Bénin et son exploitation au Gabon.
Des faits qui ont coûté à dame Degbey d'écoper de cinq (5) ans de prison ferme et d’un million de FCFA d'amende. Et à son compagnon, Koffi Jean Yeyehoué, 38 mois d'emprisonnement et à la même amende. Une troisième protagoniste, Julienne Sawlah, suspectée d'avoir servi d'intermédiaire, est décédée en détention, entraînant l'extinction de l'action publique à son encontre.
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Les faits, tels que relatés par l'arrêt de renvoi lu à l'audience, plongent dans l'horreur du tra c d'êtres humains. La victime, Élisabeth S., âgée de 13 ans, avait été acquise au Bénin pour la somme de 480 000 FCFA. La transaction aurait été orchestrée par Julienne Sawlah, présentée comme la petite- soeur du père de l'enfant. Selon ses déclarations lors de l'enquête préliminaire, Viviane Degbey lui avait fait part de son intention d'avoir une jeune lle pour travailler chez elle au Gabon. L'argent fut envoyé aux parents de l'enfant au Bénin, et la petite entama un périlleux voyage d'une semaine en mer, avant d'être "livrée" au couple à son domicile du quartier de Nzeng-Ayong, à Libreville.
Pendant plus de deux ans, la jeune Élisabeth a vécu un enfer. " Elle était battue constamment et dormait à jeun ", a décrit la gre ère en chef en lisant l'arrêt de renvoi. Lasse de ces sévices et de ces privations, l'adolescente a finalement trouvé le courage de s'enfuir pour se réfugier au commissariat de police de Nzeng- Ayong. Son témoignage poignant a immédiatement déclenché l'interpellation de ses bourreaux en septembre 2022.
Lors des plaidoiries, le procureur a fustigé la défense culturelle avancée par les prévenus. Concernant Viviane Degbey, qui reconnaissait avoir financé le "recrutement" de la jeune fille de 13 ans, le Ministère public a tonné : " Elle prétend que c'est une pratique courante dans son pays. Ici nous sommes au Gabon, c'est interdit. À 13 ans, un enfant va à l'école. Elle mérite d'être déclarée coupable ". Pour Koffi Jean Yeyehoué, reconnu complice pour avoir participé nancièrement en "pleine connaissance de cause", la culpabilité était tout aussi établie.
Le procureur a lié cette affaire à l'honneur international du Gabon : " Devant les instances internationales, c'est le Gabon qui est indexé pour non-respect des droits humains. On dit que le Gabon laisse faire. Il faut montrer à ces gens-là qu'au Gabon, ça ne se passe pas comme ça." Il a requis une peine dissuasive de 10 ans de prison, dont 4 fermes, assortie d'une expulsion et d'une interdiction de séjour sur le territoire national, tout en suggérant des circonstances atténuantes liées aux pratiques coutumières au Bénin.
Face à cette demande sévère, la défense a plaidé la clémence. Leur avocat, Me Kengue, a supplié la Cour de ne pas prononcer l'expulsion, arguant que ses clients avaient " tout ici au Gabon. Leurs familles, leurs activités. Ils n'ont rien là-bas au Bénin. "
Au terme des débats, la Cour a trouvé un équilibre entre fermeté et prise en compte du contexte. Si les peines prononcées sont inférieures aux réquisitions, la condamnation à de la prison ferme et la lourde amende envoient un signal sans équivoque : la traite des êtres humains, quelles que soient les justi cations culturelles ou économiques invoquées, est un crime intolérable sur le sol gabonais.
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