À la faveur de l’adoption par voie référendaire de la Constitution, le 16 novembre 2024, une petite musique dissonante se fait entendre sur la qualification de la République issue de cette nouvelle Constitution. Quel serait le numéro d’ordre de cette République ? IIe, IIIe, IVe, Ve ou VIe ? La présente contribution ambitionne d’apporter en trois mouvements la réponse la plus claire possible à cette légitime interrogation.
Le premier mouvement consistera en quelques rappels théoriques généraux sur la République (1). Le deuxième montrera, à partir de l’exemple français, quand et comment on change de République (2). Le troisième, enfin, apportera les éléments nécessaires à la conclusion de l’entrée en Ve République au Gabon (3).
1. Rappels théoriques généraux sur l’idée de république
République est un terme si courant qu’on peut se demander s’il est nécessaire de le définir. On le fera néanmoins car, comme le disait Samuel Butler, " définir, c’est entourer d’un mur de mots un terrain vague d’idées ". Définir, c’est fixer les limites d’un mot et en donner le sens. Cela dit, qu’estce donc qu’une République ? Défini comme " la forme de gouvernement où le pouvoir et la puissance ne sont pas détenus par un seul et dans lequel la charge de chef d’État n’est pas héréditaire " par le dictionnaire Robert, le concept de République est en réalité caractérisé par une forte polysémie qui, si elle s’est atténuée aujourd’hui, n’en a pas moins été à l’origine d’interprétations diverses.
Pour la bonne forme, on rappellera d’abord avec S. Lagmani que " le concept romain de res publica représente trois phénomènes :
a) La république est d’abord, étymologiquement, une détermination du champ politique : res publica, la chose publique ou le bien commun. Elle désigne l’objet propre et la fin du pouvoir politique et ce par opposition à res privata. Cela correspond à la fois à une définition de l’État par opposition à la société civile et à une doctrine de la légitimité du pouvoir politique par sa fin ;
b) La République est, ensuite, une détermination du détenteur de la souveraineté…
c) La République est, enfin, un mode de désignation des gouvernants : l’élection (" Le concept de République dans la pensée occidentale ", Revue Tunisienne de Droit, 1994, pp. 91 à 115, p. 94- 95.).
Dès lors, il est logique que pour Machiavel la détention de la souveraineté et le mode de désignation des gouvernants soient les critères de la République ; ce que reprend à son compte M. Ladjili : " on parle de res publica quand cesse le regnum ", c’est-à-dire quand le pouvoir quitte les mains du roi vers celles du peuple (Histoire juridique de la Méditerranée : Droit romain, droit musulman, Tunis, CERP, 1990, p. 498.).
Montesquieu, tout en adhérant à cette définition, l’affine ainsi : " il y a trois espèces de gouvernement, le Républicain, le Monarchique et le Despotique (…) Le gouvernement républicain (étant) celui où le peuple en corps, ou seulement une partie du peuple a la souveraine puissance (…) Lorsque dans la république le peuple en corps a la souveraine puissance, c’est la démocratie " (De l’Esprit des lois, Paris, Garnier Frères, 1973, p. 14.).
S’éloignant de cette conception, Jean-Jacques Rousseau considère comme République : " tout État régi par des lois sous quelque forme d’administration que ce puisse être : car alors seulement l’intérêt public gouverne et la chose publique est quelque chose. Tout gouvernement légitime est républicain " (Du Contrat social, Paris, Garnier frères, 1966, p. 75.).
On s’accordera néanmoins avec Maurice Hauriou pour dire que, " en réalité, la République est d’abord une forme de gouvernement et ensuite une forme d’État. En tant que forme de gouvernement, elle se caractérise par la suppression de toutes les fonctions gouvernementales héréditaires et par leur remplacement par des fonctions électives (…) Ce n’est pas assez dire, le gouvernement républicain exige que les gouvernants ne le soient pas à vie (…) Mais par cela même que la république est une forme de gouvernement entièrement élective, elle devient une forme d’État où la souveraineté nationale est plus pleinement réalisée que dans les autres " (Précis de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 2e édition, 1929, p. 343).
En définitive, la République est plus simplement " la forme de gouvernement qui exclut la transmission héréditaire du pouvoir " (G. Carcassonne, La Constitution, Paris, Points, 2014, p. 39.).
2. Quand et comment change-ton de République ?
Illustration avec le cas français Disons-le clairement, et au risque d’entretenir la perplexité du lecteur : il n’y a pas d’unanimité doctrinale et encore moins de prescription légale sur ce qu’est un changement de République ! Autrement dit, les auteurs ne s’accordent pas sur ce qu’est un changement de République, quand et comment il se produit ; et il n’existe aucun texte de loi qui dit, par exemple, que la République française actuelle est la Ve.
Dans les faits, le changement de République est toujours intervenu à la suite d’une crise. Ainsi, la Ire République française s’établit en 1792. En guerre contre l’Autriche, les révolutionnaires français soupçonnent le roi Louis XVI et son épouse Marie-Antoinette de trahison. Ils sont arrêtés, la monarchie est abolie et la Ire République proclamée.
Suivront l’empire de Napoléon 1er et la restauration de la monarchie qui sera à nouveau abolie en 1848 au moment de la révolution qui renverse le roi Louis-Philippe. C’est la naissance de la IIe République qui sera supplantée par un nouvel empire, celui de Napoléon III. La défaite de Napoléon III face aux Prussiens, en 1870, entraîne la chute du second empire et la naissance de la IIIe République.
Après la deuxième Guerre mondiale, la IVe République naît à la suite du référendum constitutionnel du 27 octobre 1946. Elle sera remplacée par la Ve République suite à la promulgation de la Constitution du 4 octobre 1958, elle-même fruit de la crise algérienne.
Que nous montre ce bref survol historique ? Simplement que les Républiques ont pu changer en France avec ou sans nouvelle Constitution comme c’est du reste le cas lors de l’instauration de la République en 1792. En effet, la première Constitution de la France (3 septembre 1791) instaure une monarchie constitutionnelle. Il faudra attendre le 24 juin 1793 pour voir votée la Constitution de la Ire République dite Constitution de l’An I.
Dès lors, on peut comprendre que nombre d’auteurs ne veuillent reconnaître de pertinence au concept de changement de République. Certains, comme Christophe Chabrot, en concluent même qu’il n’existe pas de Ve République en France.
Examinons rapidement la thèse de Chabrot : " Plus de cinquante ans après l’entrée en vigueur de la Constitution du 4 octobre 1958, il est courant aujourd’hui de parler de " Ve République " pour désigner le régime mis en place par cette norme fondamentale. Cette expression qui se retrouve dans tous les manuels de droit constitutionnel, sur tous les sites Internet publics, et dans toutes les bouches autorisées est donnée comme une évidence apodictique, n’ayant nul besoin d’être étayée pour être avérée. Et pourtant. Nous voici en présence d’un cas typique, si rare à observer, de ce que nous pourrions appeler un mythe fondateur… Plus exactement, cette République ne saurait être qualifiée véritablement de " Ve ". D’ailleurs, officiellement, elle n’est toujours présentée que comme la " Constitution du 4 octobre 1958… Même le constituant dérivé s’est laissé prendre au piège en qualifiant la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de " loi de modernisation des institutions de la Ve République ". (C. Chabrot, " Ceci n’est pas une Ve République ", Revue française de droit constitutionnel, n° 82, 2010, pp. 257-272, pp. 257-258).
À suivre…