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Société & Culture

Dr Dopé : ''la santé mentale, le problème de tous''

Dr Dopé © DR

Entretien réalisé par Line R. ALOMO 
 
Dr Dopé, aujourd'hui se célèbre la journée mondiale de la santé mentale. Peut-on avoir une idée du nombre de malades mentaux  qu'il y a dans Libreville ? 

Dr Dopé :  ''Nous n'avons pas de statistiques réelles sur le nombre de  malades mentaux dans la population générale. Les chiffres que nous  avons sont ceux des malades reçus au centre national de santé mentale. Ils varient de 2017 à nos jours. Ainsi en 2017, nous avions  environ 490 malades. En 2021, environ 600 malades et en 2023, nous  sommes passés de 600 à 750 malades reçus au centre. Toute chose qui peut se justifier par le fait que le centre a connu des moments de grève entre 2012 et 2015, et en 2017, il a progressivement repris du  service. Aujourd'hui, nous 500 consultations environ par trimestre, donc à peu près 1500 consultations sur l'année.'' 

Des malades qui continuent de déambuler dans la ville. Qu'est ce qui est prévu pour que cesse d'être ainsi bafoué la dignité de ces personnes devenues vulnérables du fait de la maladie ? 

''Nous essayons de nous battre pour que cette situation ne perdure plus. Mais il faut savoir que nous sommes une structure de soins. Et,  qui dit soins, dit le malade vient en consultation, est soit admis en hospitalisation, soit traité en ambulatoire, c’est-à-dire qu'il rentre chez lui et il revient pour le contrôle. Aujourd'hui, on estime le nombre de malades mentaux dans le grand Libreville à environ une centaine, parce qu'il y a des patients qui, lorsque nous faisons la 
maraude se déplacent. Donc on ne peut pas de façon objective donner des chiffres. Mais nous envisageons quand même à la longue une étude pour pouvoir évaluer le nombre de malades mentaux réels dans les rues de nos différentes villes. Nous avons essayé d'estimer dans le grand Libreville en 2023 à une centaine et dans les différents chefs-lieux de province, à environ une vingtaine de malades mentaux errants. Et là, nous ne comptons pas les autres régions du pays.'' 


Quelles sont les raisons d'être de ces errances ? 

''Nous nous sommes penchés sur la problématique des causes de cette errance et tout ce que nous allons vous dire, ce ne sont pas des réponses très objectifs. Les causes sont multiformes. Il y en a qui n'ont pas de soutien familial du tout. C'est-à-dire des personnes qui reviennent d'autres régions du monde, qui se retrouvent ici sans famille, sans soutien. Lorsqu'ils présentent un trouble psychiatrique, il n'y a personne pour pouvoir les accompagner. Il y a aussi des 
nationaux qui se retrouvent dans la rue, parfois liés au fait que la 1ʳᵉ manifestation de la maladie est quelque chose qui a peut-être pu choquer la société. L'entourage et les parents ont peur de le recevoir à nouveau chez eux. Il se retrouve donc dans la rue parce que sans soutien. Il y a aussi des familles qui se retrouvent dépassées par la prise en charge, qui, du fait de la non-psychoéducation, estiment que c'est une maladie lourde. Ils vont à l'hôpital, mais ont l'impression que ça ne change pas, que c'est toujours la même chose. Et on assiste de plus en plus à des découragements des familles, d'où ces personnes dans la rue. Mais comme je vous disais, il serait souhaitable qu'on fasse une étude pour comprendre réellement quelles seraient les raisons qui poussent ces personnes à rester et à préférer vivre dans la rue. Parce qu'il y en a parallèlement qui ont des familles et peuvent y résider mais lui-même, refuse d'y aller.'' 

Que fait-on pour que cesse cette situation ? 

''Nous avions initialement prévu de récupérer ces personnes-là, de les transférer au centre pour une prise en charge adéquate, parce qu'on parle de maladie et donc de soins médicaux. Histoire de permettre à ces personnes de pouvoir regagner les familles qui se disent qu'il est dangereux. Parce que nous avons rencontré des familles qui ne demandaient qu'à accueillir leur parent, une fois que la personne est suivie. Mais avant, il faut désengorger pour qu'on puisse récupérer de nouvelles personnes qui sont dans la rue et leur donner des soins et trouver des palliatifs. Et c'est hélas essentiellement pour les familles qui veulent. Parce que malheureusement nous sommes butés au fait qu'il y ait des familles qui ne veulent plus recevoir les leurs. Et donc ça demande un long suivi pour faire adhérer ces familles-là.'' 

Quelle est la capacité d'accueil du centre aujourd'hui ?

''Alors le centre national de santé mentale compte 100 lits officiellement. Avec un pavillon de 6 à 7 lits qui n'est pas encore livré, mais ça ne règle pas le problème. Nous avons donc 78 lits avec hélas des patients qui ne sont pas réinsérés, soit 40 % admis au centre depuis plus de 20 ans. Certains ont des parents qui préfèrent qu'ils restent ici. D'autres ont perdu des parents proches, notamment le père ou la mère, les autres affiliations parentales ne veulent pas prendre cette responsabilité-là. Donc nous nous retrouvons avec des personnes abandonnées au niveau du centre national de santé mentale. 
Nous voulons donc appeler tout le monde à la tâche pour que tous nous puissions faire de la santé mentale, une affaire de tous. Qu'on ne se dise pas ce n’est pas mon problème. Tant qu'il est dans la rue, c'est mon problème. Parce que celui qui est dans la rue, je le vois, il me gêne et peut m'agresser des fois. Tout le monde est donc concerné et pas que l'État.'' 

Dans un passé récent, on parlait d'absence de médicaments injectables. Qu'en est-il aujourd'hui ? 

''Le problème demeure moins qu'avant, certes, mais il demeure. Nous avons des produits injectables, mais nous n'avons pas toutes les variétés de médicaments que nous souhaiterions avoir sous cette forme. Mais nous trouvons des voies et moyens pour les obtenir. Via la centrale d'achat qui est l'office pharmaceutique national, l'OPN, mais également via les officines privées. Parce que nous sommes obligés de passer par les officines privées qui nous coûtent un peu plus cher. Même les grossistes répartiteurs ont du mal à avoir les psychotropes injectables aujourd'hui. Parce que quand quelqu'un est en détresse, c'est-à-dire l'entourage, de la famille qui vient et que nous, nous soyons aussi en détresse, nous n'apportons pas de solution. Donc on essaie d'avoir le minimum.'' 

Dans ces conditions, est-ce qu'on peut dire qu'aujourd'hui, le centre cadre encore avec les attentes de la maladie mentale ?  

''Le centre ne cadre plus. Déjà, par rapport à la recrudescence des troubles mentaux que nous observons, ensuite la faible capacité d'accueil ainsi que l'insuffisance du personnel spécialisé. '' 

Et l'arrière-pays alors ? 

''L'arrière-pays, comme vous l'appelez, nous avons depuis deux ans lancé les unités spéciales de santé mentale dans le but d'aller dans le sens du gouvernement actuel de mettre en place des structures de prise en charge dans toutes les neuf provinces. Elles sont embryonnaires, c’est-à-dire qu'elles n'ont pas encore d'espace d'hospitalisation. Des unités qui fonctionnent sous le couvert des centres hospitaliers régionaux de chaque province. Actuellement, c'est ceux d'Oyem et de Franceville qui sont les plus dynamiques. Nous essayons de booster les autres parce qu'il est inconcevable de transférer un malade d'une province pour une agitation psychomotrice à Libreville. Ceci peut être pris en charge localement.'' 

Alors on remarque que la maladie touche de plus en plus de jeunes. Est-ce qu'il y a quelque chose qui explique particulièrement ce phénomène

''Nous avons même fait une thèse de médecine à ce sujet pour voir un peu le profil de l'usager du centre national de santé mentale. Et il découle de ce travail que le profil, c'est un jeune dont la moyenne d'âge est de 25 ans et qui est reçu pour consommation de substances psychoactives. Si on ne se base que sur ces chiffres-là, on va dire qu'effectivement, il y a une recrudescence des jeunes. Donc la drogue, les drogues constituent aujourd'hui. Ce mal qui est en train 
de ronger la jeunesse gabonaise.'' 
 
En même temps, on remarque aussi que de plus en plus la limite entre la norme et la folie s'amenuise. Est-ce qu'il y a quelques raisons à cela ? 

''J'aurais du mal à vous répondre de façon objective. Mais il faut dire que les troubles, les souffrances psychiques sont multifactorielles. C’est-à-dire, il y a plusieurs éléments qui peuvent induire cela. Et les grandes théories ont dit il y a des causes génétiques. C'est-à-dire que dans la lignée, quelqu'un aurait présenté un trouble. Ensuite il y a des causes biochimiques. Quelques neurotransmetteurs ou quelque chose qui est un peu déréglé dans l'organisme. Il y a des causes exogènes. Ce sont des causes qui ne sont pas de soi-même mais de l'environnement. On va prendre l'exemple d'un viol, vous avez été violé, et au fond de vous, il y a cette souffrance qui va naître. Il y a aussi des causes socio économiques avec le niveau de vie qui est très bas, les familles ne savant plus comment gérer. Il y a aussi des causes culturelles. Voilà un peu pour ne citer que ces grandes lignes, ce qui peut entraîner ou peut faire en sorte que tout de suite on constate que quelqu'un est fragilisé. '' 

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