Au volant de son véhicule qui nous conduit ce lundi matin à notre lieu de travail, c'est un taximan visiblement choqué par un fait qu'il a observé.
"La semaine dernière, alors que je passais devant le lycée Raymond-Boukat, un élève de 6e âgé d'à peine 9 ou 10 ans, m'a proposé 300 francs pour que je le dépose au quartier Nyali. Je l'ai embarqué et nous avons roulé jusqu'à ce qui devait être son lieu de destination. Mais lorsque nous y sommes parvenus et pendant que je pensais que le petit me dirait de m'arrêter, il n'en fut rien. Je lui ai alors demandé où il comptait descendre. Mais l'enfant me dira qu'il ne sait pas. Il promenait des regards à gauche et à droite pour essayer de se retrouver. En vain . Ayant constaté que nous avions dépassé Nyali et que nous allions vers les "Trois-Ecoles" pour ensuite déboucher sur les PK à partir du "Chaud Chaud " , j'ai décidé de faire demi - tour . Nous sommes repassés par Nyali, toujours rien. L'enfant était toujours incapable de reconnaître son lieu de descente. Face à cette situation, j'ai dû me résoudre à le ramener devant son établissement. J'ignore donc ce qu'il est advenu de ce petit garçon, s'il a finalement réussi à retrouver son domicile".
Au Gabon, il est un fait indéniable qui prend de l'ampleur ces dernières années : les élèves arrivent de plus en plus jeunes en classe de 6e. Et si certains d'entre eux sont des génies-nés, force est aussi de constater que la grande majorité de ces enfants le sont devenus par la force de leurs parents qui les "poussent" sans toujours en mesurer les conséquences. Tant tout le monde ou presque est obnubilé par l'idée de voir son rejeton entrer au collège ou au lycée à l'âge de 7, 8 ou 9 ans.
Dès lors, avec la complicité de quelques chefs d'établissement véreux qui trouvent en cette pratique une source de revenu parallèle, l'on fait subir à ces petits du niveau de la classe de 4e année, le jeu du "saute-mouton" en les présentant comme "candidats libres" à l'examen du Certificat d'études primaires (CEP). Ainsi, ceux qui ont le bonheur de s'y admettre se retrouvent en 6e l'année où ils auraient dû normalement faire leur 5e année d'école primaire.
Mais ce que de nombreuses familles semblent ignorer, c'est que si certains de ces élèves tiennent en 6e en maîtrisant leur programme scolaire, ils ne sont pas pour autant assez robustes et mâtures pour faire face à ce monstre qu'est la rue. Un milieu réputé hostile à des personnes sans défense et où ils sont lâchés seuls, malheureusement, précocément. Dans certains quartiers de Libreville, il faut les voir traversant dangereusement la chaussée, tels des moutons, en toute imprudence et inconscience.
En outre, le témoignage du taximan en ouverture de ce reportage est suffisamment édifiant pour permettre à tout parent responsable d'imaginer ce qui aurait pu arriver au petit être innocent, quasiment à sa merci, au cas où il aurait été de mauvaise moralité. Malheureusement, tout porte à croire que ce cas n'est pas isolé. Et Dieu seul sait ce que vivent chaque jour ces centaines de mineurs soudainement transformés en adultes par leurs géniteurs.
En effet, depuis la rentrée des classes cette année, des gamins aux sacs à dos plus larges que leurs épaules et coulissant sur leur séant, prennent taxis et clandos ou marchent tout seuls pour se rendre à leurs établissements ou regagner leurs domiciles. Motif : pères, mères, oncles, tantes, cousins, etc. sont tous occupés et, donc, incapables de les accompagner.
En fait, ce comportement observé dans de nombreuses familles semble si normal que ceux des parents qui continuent à jouer pleinement leur rôle en accompagnant leurs enfants mineurs à l'école sont regardés avec curiosité. Faut-il croire que les autres tuteurs ont complètement jeté l'éponge ? Une mère oublie-telle de prendre soin du fruit de ses entrailles ? Où sont donc les pères de ces mineurs livrés à euxmêmes et chaque jour exposés à tous les dangers présents sur la voie publique ?