Lorsqu'en septembre 2023 le général Jude Ibrahim Rapontchombo est nommé à la tête de la délégation spéciale de Libreville, personne ne savait vraiment à quoi s'attendre. La seule chose que l'opinion publique espère est qu'il pourra, grâce à son statut de militaire, ramener un peu d'ordre au sein des services municipaux et dans la ville.
Au moment de prendre ses fonctions, tout le monde cherche à savoir ce que le président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, a pu lui confier comme missions principales. La presse et le public pensent qu'il a reçu une feuille de route et que quatre points principaux y figurent : la lutte contre l'insalubrité, l’assainissement des finances municipales, la maîtrise de la masse salariale et l’optimisation des ressources humaines.
L'objectif étant de classer la capitale gabonaise parmi les cités les plus propres du continent et revenir à une gouvernance plus saine. Sauf que le premier écueil va être le budget de la municipalité.
Alors qu'il vient de démissionner de l'Hôtel de Ville, Eugène Mba fait le bilan de ses six mois comme maire de Libreville. Il va ainsi indiquer que le budget primitif, adopté des mois plus tôt, avait été de 27,719 milliards de francs CFA. "En légère hausse par rapport à celui de l’exercice précédent, mais inférieur aux ressources nécessaires pour relever les défis auxquels la mairie de Libreville est confrontée", avait-il précisé.
À son tour, Christine Mba Ndutume-Mihindou ne fera pas mieux. Ni Jude Ibrahim Rapontchombo après 18 mois à la tête de la mairie. Tous deux ne sont pas parvenus à faire mieux qu'un budget d'environ 26 milliards. La délégation spéciale a dû faire face, en décembre 2023, à un projet de budget primitif pour l’exercice 2024, arrêté à 26,6 milliards de francs CFA.
Pour l'exercice 2025, ce sera même moins. Les comptes seront clôturés, en février dernier, à 25,12 milliards de FCFA. Ce qui est une baisse notable par rapport aux 26,68 milliards de 2024. C'est pour cette raison que, durant l'année en cours, l'Hôtel de Ville va devoir naviguer entre ajustements budgétaires, projets d’investissements prioritaires, rigueur financière et ambitions de modernisation.
PARAFISCALITÉ • Cette situation, et si on revient sur les propos d'Eugène Mba qui avertissait que les financements n'étaient pas conformes aux estimations, on se rend vite compte que le principal caillou dans la chaussure du délégué spécial est la parafiscalité et les détournements massifs.
Nos enquêtes ont ainsi permis de s'apercevoir que les ressources générées par les marchés municipaux avaient tendance à rentrer dans des poches autres que celles de la mairie. Avec des agents municipaux véreux et des forces de l'ordre qui veulent une part du gâteau des marchés publics, il est facile de comprendre d'où vient une partie du problème.
S'il est difficile à chiffrer, il est possible, au regard de l'ampleur du phénomène, d'évaluer le manque à gagner à plusieurs milliards de FCFA. Ce système prive donc la municipalité de Libreville de précieux billets nécessaires à ses autres programmes. Un point noir, pour le moment pour le délégué spécial qui avait déclaré, en septembre 2023, que l'assainissement du recouvrement financier était une mission prioritaire. Cependant, cela ne signifie pas que la délégation spéciale ne va rien entreprendre pour améliorer les finances.
Déjà pour améliorer le recouvrement, le maire Rapontchombo envisage d'investir 473,3 millions FCFA pour mettre en place un système numérique de recouvrement des recettes. Cette opération ne pourra réussir qu'à certaines conditions : il faudra revoir l'organisation administrative des postes comptables et des services municipaux en relation avec les ressources, remobiliser les ressources humaines et l’ensemble des compétences disponibles pour la gestion et le recouvrement, redéfinir le contenu législatif de la fiscalité locale, entre autres choses, et maîtriser les différentes étapes du recouvrement et la gouvernance des opérations qui y sont liées. En somme, briser tous les circuits de recouvrement paralèlles.
RÉFORMES • C'est sans doute un travail qui a commencé puisque l'Hôtel de Ville a annoncé s'être penché sur les réformes administratives et la gestion du personnel en imposant le retour des fonctionnaires détachés dans leurs administrations d'origine, confiant ainsi la gestion municipale aux agents de la mairie. Si la municipalité n'a pas donné de chiffres exacts sur ces fonctionnaires détachés, il faut remonter à août 2022 pour avoir une petite idée.
Alors que son syndicat est en grève, Joe-Fred Madouta, à la tête du Syndicat libre des agents de la mairie de Libreville (SYLAML), va révéler que les fonctionnaires nommés dans cette entité le sont de façon illégale.
"Hormis le secrétaire général et ses homologues, qui sont les secrétaires généraux d’arrondissements qui sont nommés en Conseil des ministres, tous les autres fonctionnaires à la mairie sont ici de façon illégale. C'est pour cela que nous avons plus de 100 cadres municipaux bien formés qui sont dans les maisons", avait-il déclaré.
Cela signifierait qu'il y avait autant de fonctionnaires détachés dans la mairie. Pour améliorer les conditions de travail, le délégué spécial a fourni des équipements informatiques pour moderniser les services municipaux.
Pour l'année en cours, ce matériel devrait coûter environ 50 millions de francs. Il a revalorisé la prime de logement des agents municipaux. Il s'est penché sur la régularisation des cotisations sociales.
La municipalité a entrepris de régulariser les cotisations à la Caisse nationale d'assurance maladie et de garantie sociale (CNAMGS) et à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) pour ses employés, assurant ainsi une meilleure protection sociale.
INITIATIVES • Mais il ne fait que poursuivre une initiative de Christine Mba Ndutume Mihindou qui date de 2022. À ce moment, interpellée sur les modalités de départ à la retraite des agents municipaux atteints par la limite d'âge, au titre des années 2019, 2020 et 2021, elle avait indiqué une démarche de l'État.
Lors "de l’une des différentes rencontres que j’ai initiées avec la CNSS, pour trouver des solutions, il nous avait été annoncé, que l’État s’est engagé à apurer le passif des charges sociales CNSS de l’ensemble des collectivités locales, dont celle de la mairie de Libreville, partant de 1974 au 31 décembre 2020. Aussi, voudrais-je vous annoncer solennellement ce jour, chers partenaires, que cette convention a bel et bien été signée sous le numéro 0000/2021/DGCPT/ CNSS du 4 octobre 2021", avait-elle expliqué.
La nouveauté est donc la régularisation des cotisations auprès de la CNAMGS. Mais difficile de connaître le montant exact.
La réhabilitation du Centre de santé d'Ambowè, la rénovation du Centre préscolaire municipal de Nombakélé, la transformation de la bibliothèque municipale de Glass en médiathèque grâce à une subvention de 155 000 euros de l'Association internationale des maires francophones (AIMF), le lancement des marchés périodiques (pour dynamiser l'économie locale et rapprocher les producteurs des consommateurs, des marchés périodiques ont été instaurés dans différents quartiers de la ville), le projet de digitalisation de l’état civil et du recouvrement des taxes municipales, les projets de construction des marchés supplémentaires pour augmenter l'offre commerciale et offrir aux commerçants des installations modernes et sécurisées, l'installation d’un Centre d'établissement de Carte nationales d’identité à l’Hôtel de Ville, etc., sont autant d'éléments à mettre au compte des réformes administratives significatives, des initiatives pour l'amélioration du cadre de vie urbain, la modernisation des infrastructures culturelles et des actions en faveur du bien-être des employés municipaux. Mais il reste encore tant à faire.
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