L’Union : Plus que par le passé, la situation des délestages s’empire de jour en jour. Qu’estce qui explique cette soudaine dégradation dans la fourniture d’électricité depuis bientôt 5 mois ?
Steve Saurel Legnongo : Je souhaite démarrer cet entretien en remerciant la rédaction de L’Union pour l’occasion qu’elle nous offre d’éclairer la lanterne de ses lecteurs et, plus généralement des Gabonais au sujet de ce nouveau cycle de délestages dans le Grand Libreville. Venons-en à votre interrogation pour vous dire que la situation extrêmement affligeante et pénible que nous connaissons préoccupe et affecte au premier chef les agents de la SEEG.
Quand vous exécutez une mission de service public en étant dans la position qui est la nôtre, c’est très difficile à supporter puisque la légitimité d’un service public repose sur la satisfaction des attentes des usagers. C’est la raison pour laquelle il est de notre devoir d’exprimer aux clients et usagers nos regrets pour les fâcheuses perturbations vécues ces derniers jours. Malgré tout, nous travaillons à résoudre les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Nous faisons de notre mieux pour remplir notre mission de fourniture des services publics d’eau et d’électricité, avec l’appui constant des plus hautes autorités du pays.
Que se passe-t-il exactement ?
La SEEG est liée à l'État par une convention de concession, laquelle a été renouvelée le 5 Janvier 2022. Conformément aux clauses contenues dans cette convention de Délégation de Service Public, il appartient à l'État d’investir et de veiller à la qualité des investissements mis à la disposition de la SEEG. Or, à l’épreuve des faits, l’on observe qu’aucun investissement structurant n’a été réalisé ces 20 dernières années, alors même que les besoins en consommation énergétique ont pratiquement doublé entre 2010 et 2024. Une insuffisance qui explique en très grande partie la crise actuelle.
A titre d’illustration, à la demande de la SEEG, un audit réalisé par EDF (NDLR : Electricité De France) sur l’ensemble du système électrique (production-transport -distribution électricité) en 2019 a révélé que 475 milliards de F CFA étaient nécessaires pour renouveler les investissements des ouvrages, devenus obsolètes et vieillissants pour la plupart. Nous avons un gap énorme entre les attentes, c’est-à-dire les besoins de l’économie Gabonaise et ce qui a pu être réalisé en termes d’investissements. C’est dire que le rythme de réalisation des investissements n’a pas suivi celui de l’augmentation de la demande. Il est donc extrêmement difficile à la SEEG, notamment aux heures de forte consommation, de répondre à la forte demande de la population. En 2024, par exemple, la demande a connu une progression de plus de 12%.
Quel est l’état actuel du parc de la SEEG ?
Actuellement, nous avons un parc qui est vétuste et certaines pièces de rechange sont totalement obsolètes. L’âge moyen des groupes thermiques est de 30 ans, celui des groupes hydroélectriques de 50 ans. Ces machines sont fortement éprouvées. Figurez-vous que nous avons encore en fonctionnement ces équipements parce que les investissements requis n’ont pas été réalisés pour déclasser ces groupes en fin de vie. C’est dire que l’enjeu est de taille. La situation est certes difficile, mais le personnel fait montre d’ingéniosité pour maintenir le parc en état de fonctionnement.
Cela veut-il dire que la situation est fatale et irréversible sans l’apport d’un partenaire extérieur ?
La quantité de puissance disponible à la distribution étant fortement limitée, la SEEG se voit obligée d’avoir recours à des délestages rotatifs, c’est-à-dire des ouvertures volontaires des postes afin d'éviter un effondrement total du réseau électrique. L’état actuel du parc nous impose d’avoir recours à des partenaires qui nous fournissent de l’énergie électrique nécessaire pour satisfaire la forte demande. Ce recours aux producteurs indépendants est révélateur des difficultés que nous vivons depuis un certain temps dans la production d’énergie.
Justement, l’Etat a signé, le 15 février dernier, un protocole d’accord avec le groupe turc Karpowership (KPS) pour la fourniture de 70 MW d’électricité à partir de deux centrales flottantes. Que prévoit exactement cet accord ?
Dans le Grand Libreville, pour faire face au déficit en énergie électrique, avec l’appui des plus hautes autorités de notre pays, une centrale flottante de 70 MW est en phase test de mise en service. Elle va participer à la stabilisation du réseau et ainsi garantir une qualité de service acceptable. A Libreville, nous poursuivons également les travaux de pose du câble ACCC sur le réseau électrique. Il s’agit d’un conducteur central en fibre carbone dont l’implémentation et la mise en œuvre augmenteront significativement le mouvement d’énergie et la capacité de transit de puissance de la ligne Haute Tension sur le tronçon 90 kV Owendo-Bisségué. Le câble ACCC est thermiquement stable, résistant à la corrosion, respectueux de l'environnement et bénéfique pour répondre à la forte demande de la clientèle domestique et industrielle du Grand Libreville.
A ces actions, nous avons également entamé la maintenance et la réparation de nos équipements. Des nouvelles acquisitions d’équipements lourds sont aussi prévus pour cette année 2025 pour couvrir les besoins de nos clients.
Permettez-nous d’insister sur la question. Que contient ce protocole d’accord avec Karpowership ? Qui fait quoi entre la SEEG, l’Etat et le groupe turc ? Et surtout à quel prix ?
Au regard du contexte de stress énergétique évoqué plus haut, un protocole d’accord a été signé entre la SEEG, KPS et l’Etat Gabonais, le 15 février 2025. L’objectif poursuivi par ce protocole d’accord est de définir les modalités de coopération des parties en vue du comblement du déficit énergétique que nous connaissons dans le Grand Libreville. Afin d’assurer l’exécution du protocole signé, la SEEG réglera un montant mensuel de 1,8 milliard de francs CFA pour la fourniture de 70 MW. L’Etat gabonais, quant à lui, prendra en charge la fourniture du fuel, et KPS s’est engagé à passer à un fonctionnement au gaz naturel dans un délai de deux mois à compter de la date de signature du protocole.
Est-ce un partenariat de très longue durée ? A quoi peut-on s'attendre à court et moyen terme avec Karpowership ?
La volonté des parties (SEEG, Etat Gabonais et KPS) est de discuter de la mise en place d’un projet BOOT (Build, Own, Operate, Transfer) en joint-venture pour une centrale électrique terrestre de 150 MW, avec une période d’exploitation à convenir ensemble.
A vous entendre, ce protocole d’accord ne semble concerner exclusivement que le Grand Libreville, voire la seule province de l’Estuaire. Et les 8 autres ? Qu’avez-vous prévu pour l’intérieur du pays ? Les mêmes problèmes de délestages sont également vécus par les populations…
Dans le sud, nous avons engagé d’importants travaux de réhabilitation complète de la centrale hydroélectrique de Bongolo. Ils consistent en la réhabilitation complète des ouvrages hydromécaniques, des groupes G1 et G2, ainsi que celle des automatismes et contrôle-commande nécessaires au bon fonctionnement de la centrale. En effet, l’indisponibilité fréquente des groupes hydrauliques et la vétusté des ouvrages électriques, mécaniques et hydrauliques installés depuis 1992 ont conduit à une baisse de l’offre énergétique de la SEEG dans cette zone du Gabon, avec pour conséquences des délestages fréquents. La livraison des travaux devrait permettre la sécurisation de l’alimentation électrique du RIC de La Louétsi (Ndende-Lebamba-Mouila-Tchibanga), dont l’impact immédiat est l’amélioration significative de la desserte en électricité dans cette région à forte densité humaine.
Dans l’Est, la SEEG a initié un projet de réhabilitation du poste source de Moanda dont les travaux ont repris, après un arrêt momentané. Lesdits travaux portent sur l’extension, la réhabilitation et le renforcement du poste source 63/30/20 KV de Moanda. Il devrait permettre à son terme le passage de 5,5 KV à 20 KV du niveau de tension de distribution de la ville de Moanda et pour tenir compte de la demande sans cesse croissante en électricité du réseau interconnecté de l’Ogooué (Haut-Ogooué et l’Ogooué-Lolo). Pour rappel, le poste de Moanda dessert les communes de Moanda, Mounana, Bakoumba, Dienga, Pana, Lastourville et Koulamoutou, ainsi que tous les villages situés le long de ces axes. Tous ces projets en cours d’exécution, associés aux initiatives portées par l’Etat gabonais, ont pour but de remettre à niveau les installations de la SEEG et renforcer la résilience de l’entreprise vis-à-vis de la population.
A ce sujet, où en est-on avec le projet d’interconnexion entre le Gabon et la Guinée équatoriale ? Est-ce déjà effectif ?
A ce jour, l’interconnexion des réseaux électriques entre le Gabon et la Guinée équatoriale est exécutée à 100%. Elle entrera ce 22 février 2025 dans sa phase de mise en œuvre à partir du poste de comptage situé au village Mebo’o, côté Gabon. L’électrification de la ville de Bitam est effective depuis la sous-station d’Ebebiyin en Guinée Equatoriale. Elle s’opère à travers la ligne Moyenne Tension 20 kV et le réseau Basse Tension qui alimentent l’ensemble des villages situés sur l’axe Mebo’o-Bitam. Ce projet électrique sous-régional a été développé sous l’égide du Pool Energétique de l’Afrique centrale (PEAC) et permet désormais à la SEEG d’injecter sur le réseau électrique nord une énergie abondante, compétitive et durable.
Aux délestages s’ajoutent désormais des actes de sabotage du réseau. Quel est votre avis sur la question ?
C’est un sentiment d’indignation ! Je profite de votre tribune pour prendre à témoin l’opinion nationale sur ces agissements qui, en plus d'exposer leurs auteurs à des risques d'électrocution, entravent la stabilité et la sécurité du réseau. Depuis quelque temps en effet, des actes de vandalisme sont régulièrement perpétrés sur le site de la centrale thermique d'Owendo, qui abrite aussi bien les installations électriques de la SEEG que celles de nos partenaires Aggreko et Perenco. Nous constatons régulièrement des câbles de terre coupés par des individus malintentionnés. Ces fils électriques sont nécessaires au bon fonctionnement du réseau. C’est la raison pour laquelle nous avons engagé toutes les dispositions sécuritaires et juridiques pour lutter efficacement contre ces actes malveillants dont les auteurs n'échapperont pas à la rigueur de la loi.
Les coupures provoquent des pertes énormes dans les ménages avec des denrées qui périssent ou des appareils endommagés. La SEEG prévoit-elle des compensations ? Quelle est votre part de responsabilité ?
Les clients qui sollicitent un dédommagement ont la possibilité de saisir la SEEG suivant les procédures du Règlement des Services. Ses dispositions sont applicables de plein droit à tous les abonnés du service public de distribution d’eau potable et d’électricité au Gabon. En cas de sinistre à la suite d’une coupure d’électricité, il y a une démarche à suivre. Le client est invité à relater les faits dans un courrier à adresser à la Direction Juridique de la SEEG. Ce courrier doit être accompagné de la photo de l’appareil endommagé ainsi que de la facture d’achat dudit appareil. Le dossier ainsi constitué est soumis à l’assureur de l’entreprise pour expertise, avant un éventuel dédommagement. C’est donc l’assureur qui décide en fin de compte de la suite à donner au sinistre, mais encore une fois, nous regrettons tous ces désagréments et travaillons pour améliorer la situation. Chaque fois qu’un client se plaint, nous sommes interpellés.
Votre mot de la fin ?
La SEEG assure chaque jour aux Gabonais le service public de l’eau potable et de l’électricité. Le défi est gigantesque et je suis conscient des efforts demandés, notamment ici dans le Grand Libreville. L’ensemble du personnel est fortement mobilisé pour relever ce défi. S’y ajoute le soutien des plus hautes autorités en têtes desquelles le général de brigade Son Excellence Brice Clotaire Oligui Nguema, Président de la République, chef de l’Etat. Son accompagnement à travers le Plan National de Développement de la Transition a pour nous valeur d’encouragement et de motivation à mener à bien notre mission.
Pour autant, il va falloir accepter de nous remettre en question, de reconnaître ce qui ne va pas dans nos activités et d’aller au bout de la démarche engagée vers le redressement de la SEEG. Les problèmes techniques et les difficultés de tous ordres sont très nombreux. Leur résolution va nécessiter du temps et des moyens conséquents afin de rendre aux Gabonais le service public à la hauteur de leurs attentes.
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